L'art polymorphe de Rozsda

Vendredi 16 Juin 2023 à 09h

Paysage minéral d’un peintre rare qui a inventé son propre langage abstrait, cette toile évoque toute la richesse d’un parcours formel entre France et Hongrie.


Par Philippe DUFOUR


Des forces primordiales semblent s’affronter sur la toile, suggérant un combat titanesque entre les mondes minéral et aquatique, couleurs froides et teintes chaudes, déconstruit en multiples facettes. Seul le titre de cette composition peut donner des indices sur la nature exacte de ce paysage brossé par Endre Rozsda : Quiberon. À son habitude, le peintre hongrois est parti de la suggestion d’un lieu réel pour emmener le spectateur dans une autre dimension. Une démarche très personnelle qui entre en résonance avec le vœu prononcé par l’artiste lui-même : « À ceux qui regarderont mes toiles, je voudrais seulement leur demander de […] donner assez de temps à la contemplation des images que je leur propose pour trouver le sentier qui y mène et permet de s’y promener. » On relève cette injonction dans la préface du catalogue de sa deuxième exposition à la galerie Furstenberg à Paris (du 12 novembre 1962 au 3 décembre 1963), où Quiberon fut accroché sous le n° 13. Comme le suggère maître Karl Benz, ce « sentier ne commencerait-il pas en haut à droite de la toile, au milieu de mégalithes, sorte d’alignements de Carnac ? » Dans tous les cas, l’œuvre est un manifeste des recherches d’Endre Rozsda au début des années 1960, quand son langage pictural se fragmente, dérive vers une abstraction singulière et tourbillonnante. De fait, Quiberon devait s’avérer le point d’orgue de sa contribution au surréalisme, au terme d’une longue évolution formelle.

Endre Rozsda (1913-1999) Quiberon, toile signée, titrée au dos. 73 x 92 cm (détail). Estimation : 10 000 / 15 000 €


https://www.gazette-drouot.com/article/lart-abstrait-polymorphe-dendre-rozsda/44626

De la figuration à l’abstraction lyrique


Endre Rozsda, né dans la petite ville de Mohács en Hongrie, a commencé ses études d’art à Budapest, au sein de l’École libre de Vilmos Aba-Novák, un artiste très novateur. Auteur de compositions figuratives particulièrement délicates et déjà appréciées, notre peintre devait vite changer de style après son installation à Montparnasse, en 1938. À cela n’est pas étrangère la rencontre avec Max Ernst, Pablo Picasso, mais aussi avec son compatriote Árpád Szenes et l’épouse de ce dernier, Helena Vieira da Silva, aux univers fragmentés bientôt proches du sien. Débutent alors des recherches abstraites qui atteindront leur maturité dans la seconde moitié des années 1940, à son retour à Budapest. Réinstallé à Paris après l’écrasement du soulèvement hongrois de 1956, Rozsda veut alors s’inscrire pleinement dans le surréalisme qui l’a inspiré dès l’avant-guerre. André Breton lui rend d’ailleurs un bel hommage en écrivant dans le catalogue de sa première exposition à la galerie Furstenberg (1957) : « Ici se mesurent les forces de la mort et de l’amour. » Cependant, après la présentation de Quiberon en 1963, l’artiste exilé évolue vers une pure abstraction lyrique, dont il développera les motifs foisonnants jusqu’à sa disparition. Œuvre capitale donc, notre composition, issue d’une collection parisienne, puis passée par descendance dans une autre de Saint-Brieuc, a vu son authenticité confirmée par l’association des Amis d’Endre Rozsda, étant déjà incluse dans leur documentation sous le numéro «ER-P-401».

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Samedi 24 juin, Quintin

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