Lot 75
Mathurin MEHEUT (Lamballe, 1882 - Paris, 1958), peintre de la Marine en 1921, chez Henri...
Mathurin MEHEUT (Lamballe, 1882 - Paris, 1958), peintre de la Marine en 1921, chez Henri CHAUMEIL (1877-1944)
Crabe, 1920.
Grès émaillé blanc craquelé.
Modelage unique daté, et portant par trois fois le nouveau monogramme de l’artiste : à l'émail bleu, en creux sous couverte et en creux en dessous ; ainsi que le monogramme « HC » pour Henri Chaumeil, à l’émail bleu. Le dessous légèrement émaillé jaune transparent tacheté de vert.
Hauteur : 7,5 cm. Largeur : 24 cm. Profondeur : 19 cm. (Petits manques et sauts d'émail).
Une des premières céramiques de Méheut
Cette pièce de la plus grande rareté est réalisée par Mathurin Méheut dans les ateliers Chaumeil, à Paris, en 1920. Le public y pose son regard le 28 avril 1921 lorsqu’ouvre son exposition au pavillon de Marsan.
Méheut, n’a jamais épousé l’antique idée de la hiérarchie des Arts, considérant que "toute création, en quelque matériaux que ce soit et quelle que soit sa finalité, a le même intérêt"1. C’est pour cette raison, qu’il avait abandonné le Salon des artistes français et son dédain pour les Arts décoratifs, au profit de la Société nationales des Beaux-Arts. Et en effet, ce crabe vaut bien une huile ! La vérité des formes, la puissance du trait, l’intérêt décoratif. Ceci sous les auspices de la grande sensibilité de Méheut qui lui fait doter ses sujets anatomiquement parfaits d’une personnalité. Et c’est vrai que ce crustacé est vivant, attachant même ! Il existe, en chair et en carapace. Nous avons tenté d’identifier son espèce parmi les 7 000 qui peuplent la Terre ; et ce des côtes de Bretagne en passant par celles d’Hawaï et du Japon, en vain. Alors nous avons interrogé - Mathurin Méheut oblige - la Station Biologique de Roscoff qui nous a indiqué qu’il s’agissait d’un Atelecyclus, un « crabe circulaire ». Il peuple les eaux bretonnes. Ainsi, l’artiste l’a forcément observé lors de son séjour roscovite.
Lors de sa première et triomphale exposition au pavillon de Marsan en 1913, aucune céramique ne côtoie ses peintures, dessins et gravures. Aucune. Ce ne sera pas le cas pour la prochaine. Revenant de son périple dans le Pacifique, il y songe dès 1914 et écrit à sa femme et sa fille l’année suivante : « J’ai des idées, mon ciboulo en pète. Je vous ferai une belle situation, une belle exposition. Je suis fier de vous, vous serez fières de moi »2. Nul doute que la céramique faisait partie de ces idées. Démobilisé en février 1919, il enseigne dès fin avril ou début mai « l’étude documentaire d’après la flore et la faune, avec ses applications décoratives pour le modelage, la sculpture, la ciselure et la gravure »3 à l’école Boulle. Cette même année, il commence à correspondre avec Henriot et donne naissance à quatre assiettes en novembre4. Il s’agit probablement des « Essais de céramique rustique en faïence de Quimper » évoqués dans le catalogue de l’exposition de 1921. En terre rouge vernissée, Henriot les nomme « poteries » car elles rappellent, par leur aspect, les terres cuites anciennes.
Alors pourquoi Chaumeil pour ce modelage ? Mystère ! "On ignore où Méheut a fait sa première initiation pratique à la céramique, car on ne sait rien des relations qu'il entretenait avec Chaumeil"5. Quoi qu’il en soit, on sait que Méheut « ne s’est jamais équipé lui-même et déconseille à Yvonne Jean-Haffen d’acheter un four ; il a besoin de l’aide des techniciens et aime discuter avec eux. A Paris, il y a Gentil Bourdet, Chaumeil, Meynial »6 Dès lors, nous pouvons supposer que le praticien mettait, au minimum, son savoir-faire et son four à la disposition de l’artiste. C’est donc chez lui qu’à l’hiver 1920-1921, préparant sa seconde exposition, il réalise ses sculptures. Combien ? Nul ne semble le savoir. Les 513 œuvres de la section « Croquis Dessins Aquarelles Peintures » sont numérotées, décrites et classées en sous-catégories. Quant à celles de la section « Art Décoratif » elles sont simplement évoquées en dernière page : « Vitrines contenant des essais de céramiques rustiques de Quimper (faïencerie Henriot) et des craquelés de Chaumeil »7.
Malgré d’ardentes recherches, il ne nous a pas été possible de trouver la trace des autres compagnons de notre Crabe. Dans l’état actuel de nos connaissances, aucune institution publique n’en conserve et n’en a exposé. Aussi, aucun « craquelé de Chaumeil » par Méheut n’a été enregistré dans les bases de données comme étant passé en vente aux enchères.
Il nous reste alors à en conclure que cette pièce exceptionnelle est l’un des tout premiers moulages en ronde-bosse de Mathurin Méheut. Et le seul craquelé à être livré à la vue du grand public depuis le 29 mai 1921, soit il y a plus d’un siècle.
1. D. Delouche, A. de Stoop et P. Le Tiec, Mathurin Méheut, Le Chasse-Marée - Ar Men, Douarnenez, 2001, p. 135.
2. Ibid, p. 46.
3. Ibid. p. 44.
4. B-J. Verlingue, Mathurin et Maryvonne Méheut Céramique, Catalogue d’exposition, MFQ, Quimper, 2003.
5. D. Delouche, A. de Stoop et P. Le Tiec, Mathurin Méheut, Le Chasse-Marée - Ar Men, Douarnenez, 2001, p. 135.
6. Ibid. p. 143.
7. Catalogue de l’Exposition Mathurin Méheut, 28 avril - 29 mai 1921, Pavillon de Marsan, UCAD, Paris, p. 22.
Nous remercions chaleureusement la Station Biologique de Roscoff, et en particulier sa directrice, Catherine Boyen, ainsi que Céline Houbin, chargée d’études scientifiques, pour avoir si aimablement accepté d’identifier notre crabe.
Adjugé : 6 500 €