Les souvenirs d’une maison de maître dispersés
Lundi 02 Mai 2022 à 08h
Reportage
« Pas de retransmission en live sur internet ! » Une voix théâtrale retentit en provenance d’une grande bâtisse de pierres située dans le bourg du Gouray-Le Mené. Cette voix pourrait être celle d’un talentueux artiste... Elle s’accompagne soudain de l’écho
d’un franc coup de marteau. Le regard d’une centaine de personnes est rivé dans sa direction. De quoi laisser divaguer l’imagination vers un lever de rideau.
C’est un spectacle hors normes qui a investi le petit village, samedi. Celui d’une vente aux enchères. Ce jour-là,
Karl Benz, commissaire-priseur, vêtu d’une veste d’époque, va orchestrer la vente de tout ce qui se trouve à l’intérieur d’une maison de maître. Du mobilier du XVIII, XIX et XXe siècle mais aussi des objets de décoration ou encore du linge.
Installé derrière un pupitre, à quelques marches de hauteur, à la porte d’entrée de la maison, le maître du jour, n’a pas une minute à perdre : il doit disperser en quelques heures les quelque 300 pièces abritées dans la maison, de la cave au grenier.
Public breton et normand
À ses côtés, Gilles Turbin, chef de sale, coiffé d’une casquette et d’un tablier lui apporte le premier objet. « Un miroir de Venise, c’est ici à ma droite ! », clame le commissaire-priseur.
«À 50€! à 60 ! Et 10 € ici, ça fait 70 €, c’est plus nous ? interroge-t-il à l’intention des enchérisseurs venus de Bretagne et de Normandie. Pas nous ? c’est nous madame ! 110 € ! Adjugé, vendu ! ».
Le miroir est à peine remis à son nouveau propriétaire, qu’une enchère en appelle une autre. « Et maintenant, la Gar-Ni-Tu-Re de la maison, qui faisait l’Or-Gueil des propriétaires ! », clame-t-il en pesant chaque syllabe d’une voix forte. Et d’enchaîner immédiatement par la description d’une grande statue : « Bronze doré, émail cloisonné, régules, pierre d’onyx venant probablement de la compagnie des Indes et des marbres d’Algérie... » Lancée à 150 €, l’enchère s’achève à 500 €.
En présentant un canapé de style Louis Philippe, décrit «à oreilles »,
l’expert transporte ensuite le public dans l’ère de la Kommandantur :« Les bottes allemandes ne font pas que du bruit ! En récupérant sa maison après la guerre, la famille a constaté que le canapé était noirci par le cirage des bottes des Allemands, laissé sur l’arrête d’assise du canapé ». Adjugé pour 100 €,
l’enchère correspond à son estimation. Cet après-midi-là, l’anecdote aura fait recette auprès d’une jeune femme, passionnée d’histoire, élève commissaire-priseur.
« La valeur de ce canapé c’est son histoire. C’est le cœur de mon métier de révéler l’histoire secrète d’un objet en faisant des recherches, pour lui apporter cette valeur immatérielle, explique le commissaire. Il s’agit d’ouvrir un portail temporel. En touchant un objet, on touche la grande Histoire. Et cela n’a pas de prix même si c’est anecdotique. »
Au fil de l’après-midi, l’orateur use de sa verve pour affoler les enchères. De quoi tenir en haleine le public avant d’abattre le fameux marteau.
Parmi les belles pièces démarquées sous le feu des enchères, un bronze datant de la Belle époque, trouve acquéreur pour1600 €, une sculpture orientaliste pour 2000 €...Mais aussi un lustre d’époque Art Déco réalisé par les frères Muller, à
Nancy, pour 850 €.
Aux alentours de 17 h, le commissaire-priseur proclame la fin de la vente. Le moindre objet de la maison a trouvé preneur. « C’est ce qu’on appelle dans le jargon du métier une vente en gants blancs », se réjouit Karl Benz.
Isabelle SIGOURA.
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